Et maintenant ?
Alors qu'un nouveau cycle commence à Bruxelles, le monde politique français atterrit, après trois mois de vacance.
Ces derniers jours, aiguillonés par le jeu de positionnement politique dont le coup de sifflet de l’Elysée avait donné le top départ, comme les autos tamponneuses qui se dépassent indifféremment par la droite ou la gauche dans les fêtes forraines, les ministrables ont parlé impôts, déficit et dette. Plus. Moins. Un peu. Beaucoup. Pas du tout. Nouveau coup de sifflet. Trois mois et quelque après l’annonce de la dissolution, la France a à nouveau un gouvernement. Les forains remballent.
Contexte
Le 12 juin, j’expliquais ici le piège budgétaire tendu par Emmanuel Macron à ses opposants, en raison du retour de règles budgétaires européennes suspendues depuis 4 ans1. J’écrivais (désolée de me citer) : “Une des conséquences de la décision du chef de l’Etat de convoquer des élections législatives les 30 juin et 7 juillet est qu’elle dispense son propre camp politique de passer l’été à décider avec la Commission de Bruxelles de la trajectoire de désendettement exigée par les nouvelles règles budgétaires européennes qu’il a lui-même négociées”.
Les chiffres des finances publiques étaient connus, à peu près. Les règles, négociées longuement, étaient en vigueur depuis plus d’un mois. Les échéances étaient écrites noir sur blanc, à commencer par celle de ce vendredi 20 septembre (oui ce vendredi, hier), pour l’envoi à la Commission du plan budgétaire à quatre ans de la France. Ce qui s’avéra inattendu est qu’en plus de dissoudre, l’Elysée jouerait la montre et attendrait septembre pour nommer un Premier ministre.
Le résultat de ce traquenard s’est donné à voir en image ces derniers jours, où l’improbable tandem des députés Liot et LFI, Charles de Courson et Eric Coquerel, ont littéralement couru après des documents budgétaires le long de la rue Bourgogne reliant le Palais Bourbon à l’Hôtel de Varenne où le fraîchement nommé Premier ministre Michel Barnier était en pleines tractations pour compléter le puzzle d’un gouvernement. Ils les ont obtenus.
Dès le mois de mars, Bruegel avait fait des simulations sur la contrainte budgétaire des années à venir - environ 80 milliards pour la France d’ici 2017, à l’époque. Plutôt 100, désormais. Il était quoiqu’il en soit évident que le futur gouvernement français aurait trois priorités : le budget, le budget et le budget.
A l’époque, j’entendais à Bruxelles que les gouvernements de la zone euro allaient passer l’été à discuter avec la Commission autour des multiples paramètres de ce contrôle budgétaire, notamment ceux négociés pour les investissements sociaux par la présidence belge de l’UE.
Dissoudre et attendre deux mois pour commencer à discuter concrètement de la formation d’un gouvernement, cela revenait à se mettre en route pour la gare… à l’heure de départ du train. Sauf que l’Elysée avait fait appeler le chef de gare.
Le gouvernement démissionaire a commencé à négocier pendant l’été avec la Commission un délai, comme l’a révélé récemment La Tribune. La préparation des documents budgétaires et du plan structurel français ont été mis entre les mains d’une poignée de hauts fontionnaires, le directeur du Trésor et les directeurs de cabinet du Premier ministre et du ministre des finances, auxquels Le Monde vient de consacrer un papier.
La conjonction entre les décisions du président de la République et la loi européenne aboutit donc à l’effacement du Parlement français puisque la France enverra un projet qui n’aura pas été examiné par le Parlement.
Si le Président de la République avait nommé en juillet un gouvernement, on aurait pu penser qu’il précipite ses opposants politiques sur le mur de la réalité budgétaire. Même pas vraiment, ou pas tout de suite. Il s’est contenté de débrancher le Parlement.
En théorie
En théorie, le “semestre européen”, ainsi qu’on appelle la phase de négociation entre les capitales et Bruxelles sur les budgets nationaux, est calé au début de l’année. La communication du plan pluriannuel a lieu au printemps, afin, précisément, en théorie toujours, de respecter la souveraineté budgétaire du Parlement. Cette année exceptionnellement, le délai de communication des plans a été fixé au 20 septembre, à titre transitoire, en raison du fait que la réforme du Pacte de stabilité et de croissance a pris du retard.
Alors que les évènements se sont précipités ces derniers jours en France, avec la montée au créneau de la commission des finances de l’Assemblée et la composition d’un gouvernement dirigé par Michel Barnier, les échéances se précipitent pour disposer d’un budget d’ici la fin de l’année.
La prochaine est le 9 octobre, qui est à la fois la date à laquelle le projet de loi de finances 2025 devrait être présenté à l’Assemblée, et celle de l’envoi du projet de plan budgétaire et de réformes à la Commission.
La conjonction entre les décisions du président de la République et la loi européenne a donc abouti à l’effacement du Parlement français, puisque la France enverra un projet que les députés n’auront pas pu examiner.
Protestation
Ce n’est pas totalement une surprise. En juin toujours, je rappelais que les parlementaires, anticipant le rétablissement des règles européennes de contrôle des budgets, suspendues au début de la pandémie de Covid19, avaient tiré la sonnette d’alarme fin 2023.
“Au Sénat, la socialiste Florence Blatrix-Contat a admis en décembre que « les futures règles européennes encadreront de fait les budgets qu'il leur incombe d'adopter ». Elle a demandé que soient « communiqués en amont à chaque parlement national tous les éléments utiles pour évaluer les trajectoires conçues par les États, ainsi que le détail de l'analyse de la soutenabilité de la dette », ce qui, donc, n’était pas prévu.”
Les évènements des derniers jours laissent penser qu’elle n’a pas été entendue.
Cette semaine, après des jours et des jours de vociférations des parlementaires, la direction du Budget a communiqué le cadrage du budget 2025. En même temps, le gouvernement a fait savoir par le journal Les Echos que le déficit 2024 sera probablement proche de 6% du PIB. Pour mémoire, il adressait il y a un an à Bruxelles des prévisions autour de 4%, revus constamment à la hausse depuis.
Romaric Godin, dans Mediapart, écrit que le débat Attal-Barnier sur les hausses d’impôt, qui déterminerait soi-disant la participation des uns et des autres au gouvernement, est factice. Cela ressemble en effet à un bavardage à la marge. Mais surtout, on a assisté à ce qui ressemble à une destruction minutieuse du contrôle parlementaire sur les comptes publics. La monnaie unique limite drastiquement le pouvoir des parlements nationaux. C’est un fait. Mais c’est aussi une décision. Ici, toutefois, les règles européennes servent d’alibi à un transfert de pouvoir entre le législatif et l’exécutif nationaux.
Pendant ce temps, à Bruxelles
Or, parallèlement, une mue institutionnelle est en cours à Bruxelles qui fait ressurgir là aussi la tentation hégémonique du pouvoir exécutif.
La présidente de la Commission Ursula von der Leyen a façonné une Commission à sa main, comme on l’a expliqué dans La Tribune. Elle avance comme dans du beurre vers la mise en place de sa nouvelle équipe, pendant que Paris va à reculons vers la présentation de son budget. Elle déroule un agenda directement inspiré du rapport de l’ancien présidente de la BCE Mario Draghi, qui explique que l’Europe est menacée de lente agonie, et plaide pour une augmentation colossale de l’investissement, sans beaucoup interroger la rémunération du capital ni sa proprité, ceci en vue d’affronter la concurrence avec les Etats-Unis et la Chine.
Le périmètre des portefeuilles des nouveaux commissaires européens sera certes gentiment débattu au Parlement européen dans les semaines qui viennent, mais les députés européens n’ont joué aucun rôle dans la composition du “gouvernement” von der Leyen qu’ils n’ajusteront qu’à la marge, tant pour ce qui est de son personnel que de son programme. Obnubilée par ce qui se passe à Paris, la classe politique française est trop contente de ne pas avoir à commenter ce que le site Politico appelle “la prise de pouvoir d’Ursula von der Leyen”, “de reine à impératrice”. Il faudrait pourtant y penser un peu.
Le remplacement de Thierry Breton par Stéphane Séjourné, ministre démissionnaire des affaires étrangères, au poste de commissaire européen signale une préférence de la part de l’Elysée : disposer de son “ministre” au coeur de cet exécutif qui affiche une ambition sans précédent depuis les années Delors. Ce que confirme la rumeur de l’arrivée d’Alexandre Adam, ancien conseiller Europe d’Emmanuel Macron et conseiller d’Etat, au poste de numéro 2 du cabinet de la présidente de la Commission, en contrepartie d’une perte de compétence du nouveau Commissaire français qui perd le numérique, la défense et l’espace dans le nouveau collège. Comme si Emmanuel Macron avait acté la toute puissance d’Ursula von der Leyen à la condition, peut-on raisonnablement présumer, qu’elle reste en ligne avec le rapport Draghi.
Le paradoxe de la situation est qu’après avoir épuisé les marges de manoeuvre budgétaires en France, le président français s’apprête à partir au combat en faveur d’un endettement massif de l’Union européenne, condition de la réalisation des projets de Mario Draghi. Ce qui me semble nous faire basculer dans quelque chose à quoi il ne faudrait pas renoncer à réfléchir : un pouvoir supranational, où les calculs de soutenabilité de la dette et la négociation directe avec les investisseurs concurrencent directement les vieux concepts de contrôle parlementaire, de consentement à l’impôt et, même, de souveraineté.
A lire sur le même sujet :
A ne pas confondre avec “Finances publiques : le piège européen tendu par Macron”, sur le même sujet, publié par Mediapart un mois plus tard sous la plume de Martine Orange.