Good Cop, Bad Cop et niches fiscales
Le duo en charge de la "gouvernance économique" de l'Union a annoncé un régime de surveillance renforcée pour la France, promesse d'un long été pour Bercy.
Il y a une semaine, vous lisiez ici que les élections législatives anticipées en France devaient être comprises dans un contexte bien particulier : la sortie des quatre années de suspension des règles budgétaires européennes et l’entrée en vigueur d’un nouveau “cadre” contre lequel les oppositions au président Macron (PS, LFI, Verts, RN) avaient toutes voté en avril au Parlement européen.
Cette situation allait mettre le nouveau gouvernement français, issu des élections du 30 juin et du 7 juillet, en situation d’immédiatement commencer à négocier avec la Commission de Bruxelles ses choix budgétaires, donc ses promesses de campagne, puisque la deadline légale pour la soumission à Bruxelles des “trajectoires” nationales de désendettement est fixée au 20 septembre.
Ce n’est pas le programme des partis ou des coalitions d’opposition en campagne qui pose problème pour Bruxelles, mais bien la situation de la France telle qu’elle était à la veille de la dissolution.
Comme on s’y attendait, la Commission européenne réunie ce mercredi en collège a donc bien validé la proposition d’ouvrir une “procédure en déficit excessif” (en français, un régime renforcé de contrôle du budget national par la Commission) contre la France et l’Italie, ainsi que cinq autres pays.
La conférence de presse du vice-président Valdis Dombrovskis, en charge des questions économiques, et de Paolo Gentiloni, le commissaire aux affaires économiques et monétaires, qui a suivi, n’a pas déçu. Elle apporte trois informations principales.
D’abord, le gouvernement Attal allait droit à l’ouverture d’une telle procédure de surveillance renforcée. Le projet de “programme de stabilité et de réforme” présenté en avril par le ministre des finances Bruno Le Maire qui prétendait revenir sous les 3% en 2027 avait été jugé insuffisant.
465 exonérations de taxe “pas forcément efficaces”
En réponse à une question de la correspondante du quotidien Le Monde sur les marges de flexibilité, le vice-président Dombrovskis a en effet voulu rappeler “les faits”. Le déficit annoncé par le gouvernement français en avril était de “5,5% en 2023, 5,6% en 2024 et 5% en 2025”. “C’est très au-dessus” (de la limite de 3%). “C’est le raisonnement par lequel la France se retrouve avec les autres pays qui font l’expérience d’une procédure en déficit excessif”, a-t-il expliqué.
Ce n’est donc pas seulement le programme des partis ou des coalitions d’opposition qui pose problème pour Bruxelles, mais bien la situation de la France telle qu’elle était à la veille de la dissolution.
Dans sa recommandation publiée aujourd’hui (seulement en anglais…), la Commission dresse un bilan sévère des grands équilibres budgétaires français, de la pénurie de travailleurs qualifiés ou du déclin de son système éducatif, mais surtout de l’efficacité d’une dépense publique qui atteint 57,3% du PIB.
Elle s’en prend en particulier aux “465 exonérations de taxe listées” par ses services, en particulier :
le crédit d’impôt recherche (7 milliards €),
le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile (5,7 milliards),
l’abattement de 10% sur les pensions et retraites (4,4 milliards),
le taux réduit de 10% pour les travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement et d’entretien (4,3 milliards) inscrits dans le budget 2023.
La Commission évalue l’ensemble de ces “niches fiscales” à 3,3% du PIB en 2022 (88 milliards). Or elles ne seraient “pas forcément les instruments les plus efficaces en termes de coût et peuvent dans certains cas mener à de sévères distorsions économiques”. De quoi trouver quelques idées d’économies pour le prochain gouvernement?
“Marge de manoeuvre nécessaire pour débattre avec la Commission”
Fidèles à eux-mêmes, l’ancien Premier ministre letton (plus libéral que chrétien-démocrate, bien que telle soit sa famille politique) et l’ancien président du Conseil italien (social-démocrate) se sont donné respectivement du “Valdis” et du “commissaire Gentiloni”, tout en faisant souffler le chaud et le froid.
Leur prestation sur le podium de la salle de presse confirme un certain partage des rôles. Pour l’un, la rigueur et le respect des règles. Pour l’autre, la diplomatie et les signes d’ouverture. Or les deux resteront aux manettes cet été, l’entrée en fonction d’une nouvelle Commission n’étant pas attendu avant novembre, pour cause d’auditions et de votes au Parlement européen.
Le premier ne veut plus du régime de faveur dont a bénéficié la France depuis l’introduction de l’euro. “Il est très clair que la plus grande flexibilité (ndlr : inscrite dans les nouvelles règles et délais adoptés en avril) laissée aux Etats membres pour définir leur trajectoire fiscale va main dans la main avec une mise en application plus vigoureuse”, y compris de possibles sanctions financières.
Paolo Gentiloni, lui, a insisté sur les marges de négociation “dans les prochains mois”. “Le travail de conception de ces plans à moyen terme… ne sera pas uniquement réalisé sur la base des trajectoires que la Commission fournira. Ces trajectoires sont des références. C’est pour cette raison que l’on veut donner aux Etats membres la marge de manoeuvre nécessaire pour développer leurs propres plans et pour en débattre avec la Commission… Cela demandera de nombreux efforts de nos services (ndlr : de la Commission) et de nombreux Etats membres dans la période à venir”.
Enfin, les deux sont en désaccord sur la publicité à donner, ou pas, à ce qui s’annonce comme de laborieuses tractations. Pour Valdis Dombrovskis, “les trajectoires techniques sont présentées et proposées aux Etats membres (ndlr : par la Commission). Cela ne sera pas publié. Ces discussions se feront entre la Commission et les Etats membres”. Pour Paolo Gentiloni, “tout ne sera pas décidé en quelques jours derrières des portes closes. Non, il y aura des jalons qui seront posés”. La direction est, cependant, assez claire.
L’évaluation faite dès avril par le think-tank Bruegel de l’ajustement fiscal annuel qui sera nécessaire dans les 4 à 7 ans à venir, citée ICI, a été reprise aujourd’hui par le Financial Times. La France devrait passer d’un solde budgétaire structurel (net des intérêts de la dette publique) de -3% en 2024 à +0,8% en 2028, ou 2031, dans le cas où elle obtient d’étaler l’effort sur 7 ans (au lieu de 4). Cette prolongation dépend des projets d’investissements dans les priorités européennes (écologie et numérique). Un redressement des comptes publics sans précédent, en tout cas depuis 2014, année de l’arrivée d’Emmanuel Macron à Bercy (cf graphique ci-dessous).
On notera pour finir une première accrobatie : les consultations préalables à la confirmation de l’ouverture de ces procédures par les ministres des finances auraient du se conclure après-demain, 21 juin, date d’une réunion des ministres des finances à Luxembourg, comme indiqué dans les “dispositions transitoires” du règlement sur le volet préventif de la surveillance budgétaire entré en vigueur le 30 avril. Mais la Commission a annoncé aujourd’hui que la confirmation des procédures n’aurait lieu qu’au Conseil Ecofin du 16 juillet.
En d’autres termes, elle propose d’attendre 10 jours après le deuxième tour des législatives françaises pour d’ultimes tractations. Ce n’est probablement pas pour déplaire à Bruno Le Maire qui participe vendredi à ce qui pourrait bien être son dernier Conseil Ecofin.
Historique du déficit structurel (avant charge de la dette) français et évaluation de l’ajustement fiscal à venir (source : think-tank Bruegel/FT)