Ce piège tendu par Macron à ses opposants
En dissolvant l’Assemblée nationale, le président de la République charge le RN ou la gauche d’appliquer les nouvelles règles budgétaires européennes contre lesquelles ils ont voté à Strasbourg.
(mis à jour le 14/6)
Une des conséquences de la décision du chef de l’Etat de convoquer des élections législatives les 30 juin et 7 juillet est qu’elle dispense son propre camp politique de passer l’été à décider avec la Commission de Bruxelles de la trajectoire de désendettement exigée par les nouvelles règles budgétaires européennes qu’il a lui-même négociées.
Mi-2020, les Vingt-Sept avaient décidé, on s’en souvient, de suspendre l’application des critères de limitation du déficit (3% du PIB) et de l’endettement (60%), au même moment, pratiquement, où ils lançaient un « plan de relance et de résilience » européen. En avril, dans une certaine indifférence, l’Union a officiellement mis un terme à ces quatre années de « quoiqu’il coûte » ouvertes par la pandémie de coronavirus.
Les éditorialistes politiques qui misaient sur une dissolution à l’automne, au moment de la présentation du budget 2025, n’avaient sans doute pas en tête le calendrier de ce nouveau « semestre européen », comme on appelle dans la “bulle” la préparation concertée des budgets nationaux.
Mais on nous permettra de douter que le Président Macron soit dans le même déni de réalité, lui qui ne s’éloigne jamais vraiment ni de Bruxelles, ni des marchés financiers pour qui la « trêve » post-covid avait assez duré. La coïncidence entre le lancement de la négociation budgétaire et la dissolution apparaît comme tout sauf fortuite.
Les nouvelles règles budgétaires, fruit d’un an de négociations et entrées en vigueur le 30 avril, donnent aux Etats membres jusqu’au 20 septembre (*) pour transmettre leurs “plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme”. Le compte à rebours a déjà commencé.
« Il faudra être très attentif entre juin et septembre », m’indiquait, quelques jours avant l’élection européenne, le conseiller d’un ministre socialiste belge, un brin inquiet.
Jusqu’à 1% de PIB de réduction de dette annuelle
Dans une semaine, le vice-président de la Commission Valdis Dombrovskis, rendra public son « rapport sur les pays en procédure pour déficit excessif » (dont la France) et le présentera deux jours plus tard aux ministres des finances réunis à Luxembourg. Il restera ensuite trois mois aux Etats membres pour définir un chemin de désendettement et le faire valider.
Plongé sans délai dans le grand bain, pour ne pas dire l’enfer, de cette négociation budgétaire d’un genre nouveau dès le lendemain de sa nomination, le locataire de Matignon devra se familialiser avec l’un de ces acronymes que la technocratie bruxelloise a le secret de créer : MTFSPs pour medium-term-fiscal-structural-plans (sic). C’est le terme consacré pour les plans à 4 (ou 7) ans que chaque Etat membre devra établir sur la base de sa DSA (Debt Sustainability Analysis), autrement dit l’évaluation de sa capacité à conserver la confiance des marchés. Une solvabilité que l’agence de notation Standard & Poor’s a récemment revue à la baisse en rétrogradant les obligations françaises.
Que va-t-on couper ? Des dépenses de santé ? D’éducation ? De sécurité ? Des infrastructures ?
La nouveauté consiste à déterminer une « exigence d’ajustement budgétaire structurel » obligatoire pour non seulement ramener le déficit sous les 3% mais aussi réduire le stock de dette à un rythme qui peut aller jusqu’à 1% de PIB/an.
Avec l’Espagne, l’Italie, la Belgique, mais aussi la Slovaquie et la Roumanie, la France fait partie des pays qui devront faire le plus gros effort. Selon le think-tank Bruegel, « l’exigence d’ajustement fiscal annuel moyen du nouveau cadre fiscal » sera d’environ 0,8% de PIB pour la France, soit, effectivement, 20 milliards par an pendant 4 ans. Les négociateurs ont toutefois prévu que l’ajustement puisse être étalé sur 7 ans, ce qui ramènerait l’ajustement autour de 15 milliards, toujours selon Bruegel.
Que va-t-on couper ? Des dépenses de santé ? D’éducation ? De sécurité ? Des infrastructures de transport ?
Des économistes pour “nous aider à faire notre travail”
Ce sont ces « détails » qu’il reviendra au prochain locataire de Matignon de régler avec le Parlement français, à l’automne, pendant la discussion du budget 2025. Or c’est peu dire que les élus ont été peu préparés à accompagner cet « exercice » de désendettement planifié. Dans leur rapport d’octobre 2023 « sur la révision des règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance », Alexandre Holroyd (Renaissance) et Marietta Karamanli (socialiste) jugeaient « inadmissible » d’être sevrés par l’exécutif de documents et d’information sur les négociations entre les Vingt-Sept concernant le nouveau “Pacte de stabilité et de croissance” qui battaient alors leur plein.
Perdus dans le maquis des règles et des chiffres, ils réclamaient le recrutement d’économistes pour « les aider à faire leur travail » et recommandaient une déclaration du gouvernement suivie d’un débat… qui n’ont pas eu lieu.
Au Sénat, la socialiste Florence Blatrix-Contat a admis en décembre que « les futures règles européennes encadreront de fait les budgets qu'il leur incombe d'adopter ». Elle a demandé que soient « communiqués en amont à chaque parlement national tous les éléments utiles pour évaluer les trajectoires conçues par les États, ainsi que le détail de l'analyse de la soutenabilité de la dette », ce qui, donc, n’était pas prévu.
Tentative de contre-réforme belgo-espagnole
Si les nouvelles règles sont présentées par certains comme un élément de plus grande « flexibilité » (on laisse du temps aux Etats et on encourage certains investissements verts ou numériques) et par d’autres comme un gage de rigueur et de stabilité, c’est que leur application s’annonce tout sauf simple et automatique. Les marchés, arbitres invisibles du jeu européen, redoutent leur effet procyclique autant qu’ils souhaitent retrouver des repères macroéconomiques. L’analyste Rebecca Christie écrivait récemment pour Reuters que « des règles bancales peuvent faire partie de la solution » afin de ne pas les effrayer.
A Bruxelles, au Conseil, l’Espagne de Pedro Sanchez et la Belgique, par le truchement de son vice-Premier ministre et ministre des affaires sociales et de la santé, le socialiste flamand Frank Vandenbrouke, avaient lancé en 2023 un « groupe de travail informel » sur les investissements sociaux afin de leur faire une place dans l’usine à gaz des nouvelles règles. Ils ont demandé l’appui du think-tank Bruegel pour examiner comment “incorporer l’impact des réformes et des investissements sociaux” dans les nouvelles règles. La technicité de l’exercice donne le vertige.
A la veille des élections européennes du 9 juin, les technocrates du Conseil planchaient toujours sur des “principes directeurs communs volontaires”. Le but : fournir des outils d’analyse et de quantification de certains dépenses de fonctionnement ou d’investissement, telles que la création de crèches, l’amélioration des services de recherche d’emploi ou encore les soins aux personnes âgées, pour les ramener en pourcentage de PIB.
« On a négocié pour mettre du social dans les objectifs communs, en plus du ‘vert’ et du numérique », explique une source proche des discussions, et « permettre aux ministres des affaires sociales de mettre du social dans les plans nationaux ». Les dépenses et investissements sociaux seront pris en compte (selon une méthode, donc, encore à définir) dans le volet préventif du Pacte, mais pas dans l’analyse de soutenabilité de la dette.
Que vont devenir ces travaux portés à bout de bras par la présidence belge, maintenant que le gouvernement De Croo s’est mis en affaire courante suite aux élections fédérales belges du 9 juin ? La Hongrie, qui assurera la présidence à partir du 1er juillet, va-t-elle reprendre le flambeau ? Et qui, au Parlement français, pourra suivre ces discussions?
“Incapables de gouverner”
La Confédération européenne des syndicats, qui a participé à cette tentative de contre-réforme, estime que les coupes attendues risquent d’annuler les effets du « plan de relance et de résilience » européen lancé en 2020 et doté de plus de 800 milliards d’euros (en cours de distribution). Pour les quatre plus grands pays concernés, elles atteindraient 72,9 milliards d’euros par an pendant les premières années d’application, soit l’équivalent d’un million et demi d’enseignants, selon les syndicats.
Emmanuel Macron, qui a tant vanté les mérites du plan de relance européen, s’est gardé de faire la publicité du revers de la médaille de ces nouveaux transferts du centre vers les Etats membres. Il était pourtant bien placé pour savoir sur quel mur budgétaire celui ou celle qui passera l’été à l’Hôtel Matignon risque de s’écraser.
Il n’a pas pu non plus lui échapper que ceux avec qui il s’apprête à gouverner à partir du 8 juillet ont voté contre cette réforme.
Le 23 avril, au Parlement, les socialistes français, dont Raphaël Glucksman et Aurore Lalucq, s’étaient affranchis, avec quelques autres, belges et néerlandais, des consignes de leur groupe en rejetant le compromis avec le Conseil forgé en février par les rapporteurs (un conservateur allemand et une socialiste portugaise). Jordan Bardella et les autres eurodéputés du Rassemblement national, avaient aussi voté contre, à l’instar des Allemands de l’AfD, les Italiens de la Lega s’abstenant.
L’eurodéputé Renaissance Stéphanie Yon-Courtin avait alors déclaré que ceux qui s’opposaient « montraient leur irresponsabilité et faisaient la preuve qu’ils étaient incapables de gouverner ». Les mêmes, donc, auxquels le président de la République a décidé de donner le pouvoir en dissolvant l’Assemblée nationale au lendemain de la défaite de son camp aux élections européennes.
(*) Contrairement à ce qui avait été indiqué dans un premier temps, la Commission ne doit pas valider les plans nationaux pour le 30 septembre, mais les Etats membres lui soumettre leur plan pour le 20 septembre.