La multinationale du « net zero » qui a racheté Bruxelles
Au cours de la dernière décennie, une mystérieuse organisation contrôlée par une poignée de milliardaires philanthropes a mis la main sur la "société civile" européenne. Autant dire, sur l'Union.
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C’est une OPA silencieuse, sans déclaration de seuil, ni chevalier blanc. Une prise de contrôle en douceur, à coup de centaines de millions d’euros de subventions, dont la cible n’est pas une entreprise mais l’Union européenne elle-même. En un peu plus de 10 ans, une organisation inconnue du grand public s’est imposée comme le principal bailleur de fonds des ONG sur la place de Bruxelles.
Pour le public attentif aux questions climatiques, l’European Climate Foundation (ECF), c’est un visage : celui de l’ancienne “sherpa” française lors de la COP21, ex-présidente du conseil d’administration de l’Agence Française de Développement et actuelle membre du Haut Conseil pour le Climat. Laurence Tubiana, dont les émoluments de « chief executive officer » (CEO) dépassaient le demi-million d’euros en 2021, s’exprime ponctuellement dans les media pour commenter l’état des négociations internationales et rapporter les choix politiques de tel ou tel Etat à l’objectif du « net zero »[2].
Cette “architecte de l’accord de Paris”, comme l’appelle le journal Le Monde, n’a jamais donné d’interview au sujet de l’organisation qu’elle dirige. Inutile de chercher à lui demander des précisions sur la stratégie d’investissement de l’ECF dans l’écosystème des ONG européennes, sur la ventilation de ses 138 millions d’euros de ressources entre les grandes fondations qui la financent, ou sur son rôle dans l’élaboration de la loi climat de l’Union européenne. “Je vous confirme qu’un entretien ne sera pas possible”, tranche un porte-parole après plusieurs tentatives.
“Oui, c’est fait pour influencer avec de l’argent”
Il aurait donc fallu se contenter de quelques réponses écrites ciselées par ses communicants, si le hasard ne nous avait mis, le 3 mars 2022, sur la route d’un membre de son conseil d’administration.
« Moi, si je suis une grosse fondation anglaise ou américaine et que je veux investir dans le verdissement de l’Europe parce que je pense c’est là que cela se passe et que cela va influencer les autres (ndlr : le reste du monde), je vais mettre mon argent où il a de l’impact sur le terrain ».
« Moi », c’est Pascal Lamy.
“Moi”, c’est Pascal Lamy. L’ancien commissaire européen au commerce et directeur général de l’Organisation mondiale du commerce est ce jour-là au Press Club de Bruxelles pour parler avec quelques journalistes des papiers que l’Institut Jacques Delors (dont il est président émérite) consacre au « CBAM » (prononcer ‘sibam’), en français le « Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ». L’ECF, il la connaît bien, pour la bonne raison qu’il siège à son conseil d’administration aux côtés de 10 autres sommités, dont l’ancienne commissaire à l’environnement Connie Hedegaard, présidente de la KR Foundation et la présidente de la confédération internationale des syndicats (ITUC) Sharan Burrow.
« Et oui ! C’est fait pour influencer avec de l’argent, des études, des idées, des actions, des évènements, des lobbies qui vont effectivement travailler pour que l’Union européenne se verdisse plus vite. Il n’y a aucun doute là-dessus. Est-ce que cela se fait dans des conditions de transparence ? Je ne regarde pas çà. Pour moi, c’est assez transparent parce que je suis membre du board… Mais je vais dire à Laurence [ndlr : Tubiana] que j’ai eu des questions sur la transparence… Bien ! Autre question… », embraye-t-il.
Créée en 2008, à La Haye (Pays-Bas), la Stichting European Climate Foundation (ECF) est chargée de redistribuer les sommes que lui confient une quinzaine de grands noms européens et américains de la philanthropie, tels que la Hewlett Foundation, Bloomberg Philanthropies ou la Oak Foundation suisse. Elle déclare en 2021 être présente au tour de table de 713 ONG en Europe et avoir distribué 1177 subventions. « Déclare », car elle ne publie aucune liste ou information détaillées et elle n’a pas l’obligation légale de le faire.
Dans son rapport d’activités (2021), on apprend seulement que les dépenses ventilées entre 7 grands domaines (transport, production d’énergie, etc.) atteignent 30 millions d’euros. Mais, est-il précisé, cette somme « n'inclut pas, à l’exception des salariés, les dépenses liées à des plates-formes hébergées par l'ECF, qui sont des entités distinctes avec leur propre structure de gouvernance et un financement restreint ».
138 millions d’euros de donations en 2021
Le formulaire fiscal mis à la disposition du public, conformément au droit néerlandais des fondations, indique un montant très supérieur de 138 millions d’euros de « subventions et donations » (grants & donations). La centaine de millions de différence pourrait donc correspondre à ces « plateformes ».
Cent millions, cela ne permet pas de produire grand chose dans le monde réel. Mais, dans celui de la communication, de l’information et du lobbying, c’est énorme.
L’ECF et ses membres se sont imposés comme des bailleurs de fonds incontournables pour des centaines d’ONG actives dans des domaines variés : protection des océans (par exemple Oceana), transport (Transport & Environment), protection de la nature en général (WWF), finance (Finance Watch, Positive Money), énergie (Agora Energiewende, Forum Energii), etc. De plus en plus, l’ECF “investit” également dans la santé, l’agriculture et l’alimentation.
Des centaines d’activistes, probablement plus d’un millier, vivent de cette manne. Ils disséminent dans l’espace public des centaines de milliers de tweets (la présence sur les réseaux sociaux fait partie de critères d’évaluation des ONG) chaque année et des dizaines d’études ou de communiqués.
Parmi les principaux destinaires de ces subventions, on trouve également l’European Environment Bureau (EEB), lui-même une coalition d’ONG, et un des géants du lobbying à Bruxelles avec 5,6 millions d’euros de budget annuel. EEB compte pas moins de 32 activistes accrédités au Parlement européen. A titre de comparaison, le CEFIC, qui représente l’ensemble de l’industrie chimique européenne, compte 39 lobbyistes accrédités. Etre accrédité, cela signifie pouvoir entrer librement dans l’enceinte du Parlement, assister à toutes les réunions publiques, se promener dans les couloirs des bureaux des députés et de leurs assistants, fréquenter les cafés ou la cantine. C’est également, au moins en théorie, une condition requise pour demander un entretien à la Commission européenne, que cela soit avec un.e fonctionnaire, un.e commissaire ou un.e membre de cabinet.
Nuée d’activistes
Autre vaisseau amiral de cette flotille d’organisations subsidiées : CAN Europe, la branche européenne du Climate Action Network, acteur majeur de la « société civile » lors des conférences des parties (COP) des Nations Unies sur le climat. CAN Europe déclare regrouper “1500 ONG” et représenter “47 millions de citoyens”. L’ECF en est le premier soutien, à hauteur de 2,5 millions d’euros en 2021 sur 4,5. CAN et EEB alignent deux des plus gros budgets de lobbying auprès de l’UE, aux côtés des grandes associations financières et industrielles ou des Big Tech.
Des centaines d’activistes, probablement plus d’un millier, vivent de cette manne. Ils disséminent dans l’espace public des centaines de milliers de tweets (la présence sur les réseaux sociaux fait partie de critères d’évaluation des ONG) chaque année et des dizaines d’études ou de communiqués.
Ce sont des sources prisées par les journalistes en raison de leur connaissance des dossiers législatifs européens et de leur capacité à produire un discours expert, comme le montre cet article[1] du journal Le Monde, simple exemple parmi d’autres. Intitulé « les stratégies de l’industrie du gaz pour sauver cette énergie fossile », il présente comme une “exclusivité” les conclusions du rapport du « cercle de réflexion », InfluenceMap, filiale d’une société à but non lucratif du même nom enregistrée au Royaume-Uni et créée en 2015, “à la veille de l’accord de Paris”, par un certain Dylan Tanner, ancien fondateur d’un cabinet de conseil.
Le rapport indique, documents d’entreprises à l’appui, que des entreprises gazières redoutent les effets de la politique de lutte contre le changement climatique sur leurs activités et leurs revenus. Quelle surprise!
La filiale d’InfluenceMap CIC présente, selon les informations disponibles sur son site, un “mix” de financements caractéristique de l’écosystème des ONG et autres “charities” soutenues par les philanthropes.
On retrouve parmi les “funders”: l’ECF, ClimateWorks, les fondations Laudes, Ikea ou KR, ainsi qu’un organisme co-financé par l’UE : l’European Institute of Innovation and Technology Climate-KIC. L’apport respectif des différents financeurs n’est pas précisé mais la présence conjointe de l’ECF, de Climate Works et de plusieurs de leurs propres financeurs inscrit InfluenceMap dans l’univers de l’activisme subventionné par l’European Climate Foundation.
En 2015, le lobby du charbon et de la lignite, Euracoal, s’était penché sur cet ovni. Son secrétaire général Brian Ricketts raconte qu’il avait été intrigué par l’arrivée sur la scène européenne d’une vingtaine d’ONG délivrant toutes peu ou prou le même message en faveur de la sortie du charbon. Sa mission est alors de défendre la place des membres de sa fédération dans l’ « Energie mix » européen. Le charbon couvre alors 28% des besoins pour la production d’électricité dans l’UE en général, et plus de 40% en Pologne comme en Allemagne.
“Une expérimentation promue par une élite”
Ses recherches confirment la convergence des sources de financement de ces ONG anti-charbon vers l’ECF et, de là, vers une poignée de fondations à fonds de dotation.
Son rapport[3] publié peu avant la COP21 sous le titre « ONG à vendre – comment de très riches Américains influencent les stratégies européennes pour l’énergie et le climat » conclut à l’existence d’« un projet de démanteler notre mode de vie et de le remplacer par une expérimentation promue par une élite qui vise l’influence sur les décideurs de l’Union européenne, le pouvoir sur les citoyens et une richesse prélevée sur nous tous ».
A l’époque, l’ECF n’a pas le visage rassurant de Laurence Tubiana. Elle est dirigée par des hommes d’affaires. Son premier CEO a été Jules Kortenhorst, un Néerlandais qui a fait carrière dans le groupe pétrolier Shell, avant de diriger des groupes de centre d’appel, puis d’entrer, en 2006, au Parlement batave sous l’étiquette démocrate-chrétienne. Il interrompt son mandat deux ans plus tard, suite à des révélations sur une affaire apparemment anodine de cumul entre son indemnité d’élu et des rémunérations versées par une entreprise.
Le temps des super managers…
En 2011, le Néerlandais est remplacé par l’Allemand Johannes Meier. Meier a fait carrière au sein du cabinet McKinsey, dans l’informatique puis à la fondation Bertelsmann. Un compatriote, l’ingénieur Christopher Wolff, l’épaule au poste de “directeur général”. Wolff a passé 17 ans chez McKinsey et dirigé deux entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables: Novatec Solar et Solar Millenium. Après son départ de l’ECF en 2017, Wolff deviendra “Global Head of Mobility” et membre du comité exécutif du World Economic Forum (bio sur la Green Finance Platform et WEF).
A partir de 2013, Meier et Wolff peuvent compter sur l’appui d’un “conseil de surveillance” présidé par une star de la politique et des affaires allemandes : Caio Koch-Weser. Membre du parti libéral allemand FDP, ce Germano-brésilien a fait carrière à la Banque mondiale, avant de devenir secrétaire d’Etat aux finances à Berlin. Entre 1999 et 2005, il est membre du gouvernement Schröder qui lance, en 2000, l’ Energiewende, le grand virage énergétique du pays. Quand il rejoint l’ECF, Koch-Weser est depuis sept ans vice-président de Deutsche Bank (il le restera jusqu’en 2016).
En Allemagne, l’heure est à la sortie du charbon et le développement des énergies renouvelables, dont l’ONG Agora Energiewende basée à Berlin est un fer de lance. Si elle a depuis diversifié ses sources de financement et peut en particulier compter sur le ministère fédéral allemand de l’environnement (BMU) lui-même, Agora était “principalement financée à ses débuts par l’ECF et la fondation Mercator (aujourd’hui membre de l’ECF)”, selon le site Clean EnergieWire.
Depuis le lancement de l’Energiewende allemande, le mouvement anti-charbon a conquis l’Europe. Créé en 2017, le réseau d’ONG « Europe Beyond Coal » regroupe aujourd’hui une cinquantaine[4] d’organisations dont CEE Bankwatch, actif en Europe centrale, WWF, Greenpeace, Agora Energiewende, toutes soutenues à des degrés divers par l’ECF. En 2021, le directeur d’Agora EnergieWende Patrick Greichen a été nommé secrétaire d’Etat en charge du climat et de l’énergie auprès de l’actuel ministre fédéral de l’économie allemand, l’écologiste Robert Habeck.
Entre 2015 et 2022, la production d’électricité européenne à partir de charbon a été divisée de moitié, de même que le nombre de centrales. La sortie complète est prévue pour 2030.
… et celui des curés
En Pologne, pays européen le plus dépendant du charbon, l’ECF aurait fait relayer ses messages par… le clergé catholique pour venir à bout des résistances du gouvernement conservateur, peu enclin à embrasser ce virage qui risquait de le précipiter dans les bras du producteur de gaz russe Gazprom.
« Quand on décide de financer l'Eglise polonaise pour que les curés disent du mal du charbon le dimanche, c'est assez malin, c'est pas à la portée de n'importe qui et cela marche vachement bien », explique une source bien informée.
Nous avons contacté l’ECF pour vérifier cette information. Elle dément avoir payé pour des prêches anti-charbon, mais admet : “En Pologne, certaines des organisations que nous soutenons sont des ONG catholiques sécularisées investies dans la sensibilisation aux problèmes environnementaux”.
“Nos membres polonais sont au courant que l’église catholique s’est exprimée contre le charbon depuis Laudato si’, même si le clergé de Silésie fait un exercice d’équilibriste”, indique le secrétaire général du lobby du charbon. “Clairement, l’Eglise est une voix forte dans le débat climatique”.
L’encyclique papale publiée en mai 2015 a en tout cas incité les ONG et l’Eglise à se rapprocher et suscité de nouvelles initiatives comme la création du Laudato si’ movement. Sur cette photo, on voit Laurence Tubiana aux côtés de l’économiste et religieuse Allessandra Smerilli et de Mir Montserrat, la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (ETUC), en 2019, à Katowice.
Sept ans après la publication de son rapport, Ricketts constate :
« Si quelque chose a changé, c’est qu’il y a encore plus d’argent, et toujours aussi peu d’appétit pour en parler ».
Le “Net Zero en 2050” apparaît sur l’agenda européen
Si l’ECF ne communique pratiquement pas vers le public, elle fait en revanche le siège de l’exécutif européen. L’année de la COP21 et celle qui a suivi (2015-2016), ses représentants ont été reçus pas moins de 47 fois par des commissaires et/ou des membres de leurs cabinets, soit en moyenne 2 fois par mois, ce qui la place dans le top des lobbys qui fréquentent le plus le Berlaymont, le siège de la Commission. Sans compter les rendez-vous des coalitions d’ONG qui lui sont les plus étroitement liées.
Cette phase de lobbying intense précède la publication, peu avant la COP24 à Katowice en 2018, du premier document de l’Union européenne où figure l’objectif de la neutralité carbone dans le prolongement de l’accord de Paris.
Cette communication[5] intitulée « A Clean Planet for All » est présentée par Miguel Arias Cañete, alors commissaire pour l’action climatique et l’énergie, et préparée par la DG Climat, dirigée par Mauro Petriccione, mort subitement en août 2022. Elle est proche, dans sa conception, du document publié quelques semaines plus tôt par l’ECF[6] sous le titre « Net Zero 2050 » dont elle reprend la construction en scenarii.
On y retrouve aussi, non sourcé, un graphique identique à celui qui figure en annexe du rapport ECF. Il indique la trajectoire de réduction des émissions par secteur (agriculture, logement, transport, etc.) jusqu’au “Net Zéro en 2050”, y compris pour partie grâce aux « émissions négatives » produites par les techniques de stockage du CO2 et sa séquestration dans les sols (ou land use, land-use change and forestry LULUFs).
A l’automne 2018, alors que les manifestations pour le climat commencent à prendre de l’ampleur dans le monde entier, Eurocities, une association qui s’exprime au nom de plus de 200 villes européennes, commence à promouvoir le « Net Zero en 2050 » et lance le « Climate Action Call » (appel à l’action pour le climat). Eurocities affiche en 2022 un budget de lobbying de 1,25 à 1,5 million d’euros et 12 personnes accréditées auprès des institutions, mais ne divulgue pas ses sources de financement hors UE (environ 500 000 euros). Sa communication monte en puissance, au moment même où des centaines de milliers de jeunes gens défilent dans ces mêmes villes et où leur égérie, Greta Thunberg, fait le tour des capitales pour dénoncer l’inaction des dirigeants politiques. L’activiste suédoise est reçue à l’Elysée par Emmanuel Macron le 22 février 2019.
“Nouvelle ambition climatique”
Le 7 mai, deux jours avant un “sommet informel dédié à l’avenir de l’UE” qui se tient en Roumanie, 69 ans jour pour jour après la déclaration Schumann, Eurocities remet le couvert. “Les maires de 210 villes représentant 62 millions de citoyens appellent le Conseil européen à s’entendre sur un chemin vers zéro émissions nettes en 2050”, tweete cette organisation qui dispose aujourd’hui d’un staff impressionant de 78 personnes.
En décembre 2017, Emmanuel Macron avait déjà réuni le gotha des affaires et de la philanthropie à l’Elysée au “One Planet Summit”, autour de la présidente de l’ECF (photo).
Au printemps 2019, à quelques semaines des élections européennes, il affiche sa priorité pour une “nouvelle ambition climatique”. A la sortie de ce Conseil informel, il se met en scène aux côtés des Premiers ministres néerlandais et luxembourgeois, Mark Rutte et Xavier Bettel, en train de discuter avec de jeunes activistes auxquelles Bettel assure que le sujet du changement climatique a bien été débattu à huis clos entre “chefs”.
Trois ans plus tard, Macron écrit sur twitter au sujet de cette rencontre :
“Nous étions les premiers à porter la neutralité carbone comme objectif. Puis 5. Puis de plus en plus. Aujourd’hui, c’est toute l’Union…”.
Les élections européennes passées, le « Net Zero » devient le mantra de la nouvelle présidente de la Commission Ursula von der Leyen qui en parle dans son premier discours au Parlement et sera l’axe central de la « loi climat » et du Green Deal présentés en 2020.
De Gazprom à Greta Thunberg
En 2021, le site Politico.eu[7] a publié une des rares enquêtes journalistiques sur l’ECF ou, plus précisément, sur son pseudopode, le Global Communications Strategic Council. Elle est sous-titrée : “après tout, quelqu’un doit bien vérifier les emails de Greta Thunberg”.
Le GSCC se présente aujourd’hui comme un « réseau mondial des professionnels de la communication dans les domaines de l’énergie et du climat », selon son site internet. Mais, à l’époque, l’organisation est encore quasi-clandestine. Elle œuvre pour faire prévaloir le narratif d’une politique publique « basée sur la science ». Contre les discours climatosceptiques, une armée de spin doctors emprunte aux multinationales leurs techniques de « PR » (public relations).
Leur patron, Tom Brookes, a rejoint l’ECF en 2009 après avoir travaillé pour Microsoft et Apple, et avoir cofondé l’agence de lobbying GPlus. Une des success stories du lobbying européen, GPlus a été créée par d’anciens porte-parole de la Commission et journalistes (dont Brookes), qui ont notamment fait des choux gras en assurant les relations publiques du groupe gazier russe Gazprom à Bruxelles dans les années 2000.
Si, pour une fois, Brookes sort de l’ombre et parle “on the record” à Politico, c’est que le journal dispose d’informations embarassantes recueillies au hasard d’un trajet en bus à Bruxelles. Un journaliste de la rédaction a surpris la conversation téléphonique entre un collaborateurdu GSCC et on ne saura pas qui. Ce qu’il a entendu est suffisamment intéressant pour que le site décide de creuser.
Pour l’aider à décrypter, le site se tourne vers un universitaire, spécialiste de la philanthropie climatique. Edouard Morena a étudié la fabrique des accords internationaux sur le climat pendant des années. Au sujet de la manière dont est organisée la communication des ONG, il parle d’une « approche en flottille » .
« Tout le monde n’est pas sous la même marque, mais tout le monde pousse sa propre marque dans la même direction », dit-il à Politico.
Politico met près de six mois à publier son enquête. Celle-ci ne dit pas quels étaient les protagonistes de la conversation qui l’a déclenchée. Elle lève cependant légèrement le voile sur des techniques d’influence étranges. « C’est de loin la meilleure source de renseignement aux réunions de la COP », déclare au sujet du GSCC un ancien reporter. « C’est comme la porte vers le royaume de Narnia… Vous ne savez pas que c’est là, jusqu’à ce que vous sachiez que cela y est ».
Après la parution, le “réseau GSCC” dévoilera des détails sur son personnel et ses financeurs sur son site internet. Il y est présenté comme « un projet collaboratif hébergé par l’European Climate Foundation ». Les cinq fondations qui le financent font toutes partie du tour de table de l’ECF. Longtemps, un attaché de presse de l’ECF signait indifféremment ses emails « communication advisor » de l’un ou de l’autre. Tom Brookes, directeur exécutif chargé de la communication stratégique de l’ECF au moment de la parution, est désormais CEO du GSCC, tout en restant « fellow » de l’ECF. L’article de Politico est un bref rai de lumière jeté sur un océan d’opacité.
“Un dilemme permanent”
En 2022, les employés des ONG financées par l’ECF et ses partenaires n’acceptent de parler de ce soutien que sous couvert d’anonymat.
« Ils amènent un financement vraiment nécessaire », explique une source. Mais « c’est un dilemme en permanence dans les ONG. Parfois les agendas s’alignent, parfois il faut changer un peu de direction ». Une autre explique : « ils ont amené plus de fondations dans le domaine. Ils prennent un rôle très actif. Cela peut faire grincer des dents, quand ils vont au-delà de leur rôle financier », tout en déplorant que le financement stable, sur plusieurs années, est devenu plus rare.
« Le core funding s’est mis à fondre avec la professionnalisation de la philanthropie il y a 10 ans », explique un autre. Il ajoute : « Je vis mieux que si je devais convaincre 150 000 citoyens chaque mois » de financer mon organisation.
Quand on connaît l’inconfort d’avoir un pied dans l’action et l’autre, dans la collecte de fonds, des subventions, mêmes annuelles, restent généralement bienvenues.
« On est des semi-grossistes. On achète en gros » les lignes de subventions des grandes fondations privées « et on les distribue en plus petit », nuance une source interne à l’ECF.
La conséquence est que les négociations doivent reprendre au moins annuellement. Un autre activiste encore va plus loin : “ils sont très forts pour te mettre des bullet points dans la bouche”, laissant entendre que ses bailleurs de fonds ont cherché à contrôler son propos. “Mais c’est compliqué. Si tu te fâches avec l’un, tu te fâches avec tous”, dit-il des membres de l’ECF.
« On est des semi-grossistes. On achète en gros » les lignes de subventions des grandes fondations privées « et on les distribue en plus petit », nuance une source interne à l’ECF. « On est en contact avec l’écosystème des ONG, ce que Oak [ndlr : fondation suisse, membre fondateur et bailleur de fonds de l’ECF], par exemple, ne peut pas faire depuis Genève ».
Un sacré travail si l’on considère que les subventions tournent généralement autour de quelques centaines de milliers d’euros, 2 ou 3 millions, au maximum, alors que la Fondation dispose de plus de 100 millions d’euros de budget ! La manière dont les premiers, les Oak, Ford et autres se répartissent la tâche et coordonnent le pilotage de ce « portefeuille » d’ONG n’est évidemment pas publique.
L’ECF suit les projets financés, “sur une base annuelle et thématique” grâce à un staff d’experts organisés en pôles. Selon un activiste, chaque portefeuille est placé sous le contrôle d’un comité de décision composé de “responsables de haut niveau” qui associent des membres du « staff », autrement dit les experts techniques qui sont, eux, en relation constante avec les ONG.
En volume, ce commerce de l’influence soutient la comparaison avec les efforts déployés par les Big Corp, ces grandes entreprises dont la puissance du lobbying à Bruxelles est notoire. Celui de l’industrie pharmaceutique a été évalué par le lobby anti-lobby Corporate Europe Observatory (CEO) à 36 millions d’euros par an[8], ce qui correspond aux dépenses des entreprises du secteur, de leurs fédérations et de leurs (plus ou moins vraies) ONG. Notons que CEO bénéficie du soutien de fondations philanthropiques, dont l’ECF.
Résultat de ce management des donations, le paysage de l’activisme environnemental est devenu d’une complexité inouïe. Il est presque impossible de s’y retrouver dans cet entrelas de “membership”, “sponsorship”, “partnership”, financements divers. CAN Europe, par exemple, regroupe des milliers d’ONG, au niveau européen et national, notamment plusieurs bureaux nationaux du WWF, tout étant dans le groupe des « Green 10 » (groupe de 10 grandes organisations climatiques) dont est membre le WWF Europe.
Autre exemple : Transport & Environment (T&E), qui dispose d’un budget de 10 millions d’euros, reçoit le soutien de l’ECF et de sa “soeur” californienne Climate Works (CW) mais aussi des fondations KR, Hewlett, Oak, Rockfeller, Mercator… qui financent par ailleurs l’ECF. T&E est aussi soutenu par la Packard Foundation, donateur de CW, et par le Schwab Charitable Fund. L’EEB, de son côté, reçoit des fonds de l’ECF, mais aussi des fondations Laudes et Oak.
Cet imbroglio de financements se double d’un jeu de coalitions ad hoc. Formées en fonction de l’actualité législative, elles créent un effet de masse, comme ici pour attaquer l’herbicide glyphosate.
Un autre champ n’échappe pas à l’emprise des grandes philanthropes : la finance.
“Les fondations se sont engouffrées derrière Carney”
Après l’effondrement financier de 2008-2009, une poignée d’experts venus des marchés crée la première ONG européenne spécialisée dans la finance : Finance Watch. Avec l’énorme ambition de transformer le système financier et le soutien de députés, notamment les Verts belge et allemand Philippe Lamberts et Sven Giegold, ils veulent inventer une organisation indépendante capable de faire contrepoids à la capture du pouvoir politique par les banques et les fonds dont la crise est le triste résultat.
A l’époque, le commissaire au marché intérieur et aux services financiers Michel Barnier est favorable à l’idée de ce “contre-lobby”. Mais la Commission refuse de lui apporter un financement stable autonome. Elle se contente de promettre d’abonder chaque euro de don privé par un euro d’argent public. Finance Watch est donc condamnée à trouver des financements privés.
Pendant ce temps, le monde financier a trouvé une parade aux ardeurs des régulateurs de tout poil. Ce sera la « finance durable ». Le virage est amorcé par le discours[10] du gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney. En septembre 2015, depuis le siège des Llyod’s, le Canadien, futur envoyé spécial de l’ONU pour le climat et la finance, explique que des solutions de marché permettraient d’éviter « la tragédie de l’horizon » du réchauffement climatique. « Sur la base d’une meilleure information, nous pouvons construire un cercle vertueux de meilleure compréhension des risques de demain, une meilleure tarification pour les investisseurs, de meilleures décisions par les décideurs politiques et une transition plus douce vers une économie à faible émission de carbone. En gérant ce qui est mesuré, nous pouvons briser la Tragédie de l'Horizon », conclut-il depuis le siège du plus vieux groupe d’assurance mondial.
Quatre ans après son discours, Mark Carney reprendra le rôle d’Envoyé spécial de l’ONU pour le climat jusqu’alors tenu par le patron de Bloomberg Philanthropies.
Le message de Carney, en résumé, est que pour limiter le réchauffement de la planète, il faut plus quantifier, plus “pricer” et plus faire confiance aux marchés. Sept ans à peine après l’effondrement de Lehman Brothers, la finance a trouvé une voie de salut : la nature.
Au moment où l’agenda de la finance verte se met en place, Finance Watch peine à engranger les dons privés. C’est alors, en 2017, que la fondation suisse Mava propose de mettre au pot, à condition que l’association travaille sur « le capital naturel », autrement dit la financiarisation de la nature. Les projets sur la séparation des activités bancaires et autres tentatives de tarir le détournement de ressources vers des marchés à l’utilité sociale douteuse sont relégués sur les étagères. En 2022, Finance Watch planche sur la “finance soutenable”, la question du genre dans les services financiers, le “net zero”. Elle compte Mava et l’ECF parmi ses bienfaiteurs, ainsi que la Quadrature Climate Foundation, une nouvelle fondation créée par un hedge fund, selon un modèle qui rappelle la « venture philanthropy » du CCIF, mix entre véhicule d’investissement et relai d’influence.
Les fondations se sont engouffrées derrière Carney. Il avait créé un narratif », analyse aujourd’hui le responsable d’une ONG.
Finance Watch a été rejointe à Bruxelles par Positive Money, autre ONG travaillant sur la finance mais sous l’angle de la politique monétaire. Créée à Londres, elle a installé son bureau bruxellois sur le même plateau que Finance Watch. Positive Money est aussi financée par l’ECF ainsi que par une autre fondation de fondations basée à Gland, dans le canton de Vaud : Partners for New Economy qui coalise les fondations Oak (Genève), Ford, Laudes (Zug) ou encore Mava (Gland). La Suisse semble abriter le camp de base du philanthro-capitalisme.
Chez Mava, créée par un des héritiers et actionnaires du groupe pharmaceutique Hofmann La Roche, l’ornithologue Luc Hoffmann, on retrouve aujourd’hui Tom Brookes. Le fameux ancien spin doctor des Big Tech qui supervisait le tri des emails de Greta Thunberg. Pilier de l’ECF et du GSCC, Brookes y est “conseiller” du programme “Finance pour la biodiversité”. Brookes est également l’un des cinq membres du conseil d’administration de “Nature Finance”, un “think-tank”, financé notamment par Mava, qui prétend “making nature count in global finance” (faire compter la nature dans la finance mondiale).
Nature Finance a créé ce qu’un insider appelle “le plus grand lobby de financiarisation de la nature” : la “Task Force on Nature Markets”. Un de ses rapports commence par cette phrase très “carneysienne” : “les marchés, le commerce et l’économie mondiale ont historiquement sous-évalué le prix de la nature”. Sous-entendu, pour lui donner un juste prix, il faut de toute urgence créer des marchés efficients où s’échangent ce que l’on pensait jusqu’à présent être un bien commun.
“On aurait pu aborder cet agenda de façon critique. Au lieu de quoi, toutes les ONG ont créé un poste “finance durable”… Les fondations se sont engouffrées derrière Carney. Il avait créé un narratif », analyse aujourd’hui le responsable d’une ONG. “Il aurait fallu que plus de ressources aillent dans une structure du type de Finance Watch capable de créer une vision propre”.
“Petite soeur” européenne
Mettre à plat le réseau de financement et les circuits de décision de cet écosystème est d’autant plus difficile que l’ECF intervient souvent aux côtés de fondations qui la financent et/ou de la Climate Works Foundation (CW), créée au même moment, en Californie, en partie par les mêmes grandes fortunes, et qui renvoie des sommes importantes vers sa « petite sœur » européenne.
A la façon d’un trust dont on ne verrait jamais les apporteurs de capitaux, ECF et CW font écran entre le public et les philanthropes qui les ont créées.
Parmi eux, on trouve Michael Bloomberg, fondateur du groupe d’information financière et de la fondation éponymes, ancien maire de New-York et candidat à la candidature démocrate aux élections présidentielles américaines en 2020, nommé en 2021 « Envoyé spécial des Nations Unies pour l’ambition et les solutions en faveur du climat », mais aussi la famille des fondateurs de Velux ( KR Foundation), la famille d’Alan Parker, un comptable de formation réputé devenu milliardaire grâce au produit de la cession de ses parts dans une chaîne de magasins de duty free à LVMH (Oak Foundation qui ne communique aucune donnée financière), les époux McBall MacBain qui ont créé en Suisse leur fondation éponyme après la vente de leur société de petites annonces, la famille Schmidt-Ruthenbeck, actionnaire majoritaire du groupe de grande distribution Metro (Stiftung Mercator), la famille Hewlett (cofondateur de Hewlett-Packard), dont la fondation est réputée dotée d’une dizaine de milliards de dollars de fonds, ou encore Chris Hohn, dont la Children Investment Fund Foundation (CCIF) est issue du hedge fund éponyme qui a fait sa fortune.
L’ECF ne publie la répartition chiffrée précise ni de ses ressources ni de ses dépenses. En revanche, elle affiche publiquement sa gouvernance de très haut niveau. Cheffe de cette organisation de plus de 200 salariés, Laurence Tubiana est flanquée d’un « supervisory board » et d’un « advisory board ». Le premier « approuve la direction stratégique et les dépenses liées aux subventions distribuées et supervise les activités de la Fondation ». On y trouve, outre Pascal Lamy, Connie Hedegaard et Sharan Burrow, des représentants des fondations donatrices. Stephen Brenninkmeijer, héritier et longtemps patron du groupe d’habillement C&A l’a présidé entre 2018 et 2022, avant de passer la main à la patronne de la CCIF, l’Américaine Kate Hampton.
En 2019, le compagnon de route de longue date de l’ECF Caïo Koch-Weser a pris la tête d’un « conseil consultatif » nouvellement créé. Il y siège aux côtés d’autres « personnalités illustres », précise le site de l’ECF, telles que la diplomate irlandaise et ancienne envoyée spéciale de l’ONU pour le climat Mary Robinson, la responsable des marchés au directoire de la Bundesbank Sabine Mauderer (ce qui ne laisse de surprendre), la Brésilienne Ana Toni, figure historique de Greenpeace, ou encore l’économiste britannique Nicholas Stern, auteur du célèbre rapport de 2006 sur « l’économie du changement climatique ». Ils « conseillent » les équipes de la Fondation sur « la direction stratégique et fournissent un input thématique ». Input thématique.
“Il faut trois planètes pour planter les forêts”
L’ECF « ne plaide pas pour la croissance verte per se mais pour la transition vers une économie dont les émissions nettes de gaz à effet de serre sont nulles », explique un de ses communicants. L’EEB, par exemple, s’en est pris en 2022 aux risques de « greenwashing » liés au projet européen de verser des compensations financières aux agriculteurs au titre de la séquestration de carbone dans leur sol[12]. Pas au point, toutefois, de contester le principe même d’une inclusion des terres agricoles dans les mécanismes de compensation.
Quand on l’interroge sur les limites du “net zero”, autrement dit la comptabilisation d’émissions “négatives” pour compenser les émissions réelles, Pascal Lamy répond :
« Je suis d'accord pour dire que si on fait le tour de tout ce qui est acheté comme forêts et comme compensation dans le monde et dans les bilans des entreprises, il faut trois planètes pour planter les forêts. Evidemment, il y a des problèmes de cohérence. Il y a des cas où la compensation est excessive dans le parcours de la décarbonation. Je pense que ça s'ajustera ».
Extrait de conférence de presse, 3 mars 2022, Press Club, Bruxelles
Il y travaille avec Emmanuel Faber, l’ancien patron de Danone, « un ami proche », qui réfléchit à un « système de normes extracomptables pour valider et normer et donner la transparence nécessaire ». Puis il ajoute : “le capitalisme est en train de bouger dans cette direction”.
“Bruxelles” co-finance
De la généralisation de la marchandisation du carbone à l’accompagnement de la création de dérivés sur les actifs naturels, en passant par la révision des règles prudentielles des opérateurs financiers en fonction de critères environnementaux, le Green Deal européen s’inspire de la même idée selon laquelle le système financier va s’adapter et participera à la limitation des émissions. La Commission semble si confiante dans l’avenir de la finance verte qu’elle s’est faite conseiller par le plus grand gestionnaire d’actifs du monde, BlackRock, au sujet du verdissement de ces règles.
Ce contrat de conseil avait provoqué un mini-scandale en 2021 et suscité l’ire de l’ombudsman européen. A l’époque, le site euobserver illustre sa recension de l’affaire par une photo de manifestation des “jeunes contre l’apocalypse” devant le bureau de la sénatrice Feinstein… à San Francisco. BlackRock s’est construit sur la gestion de fortune. Les philantropes sont ses clients.
Depuis des années, la Commission cofinance la montée en puissance de cette « société civile », notamment à travers le programme LIFE. On parle de millions d’euros d’argent public donnés chaque année à des organisations qui ne font que communiquer. Au tour de table de certaines ONG, on retrouve aussi des ministères ou agences nationaux allemand, néerlandais ou scandinaves, aux côté des bailleurs de fonds privés et de l’UE. Ces acteurs publics offrent ainsi un levier financier à des philanthropes dont les fondations sont pourtant assises sur des dizaines de milliards de dollars investis on ne sait où, et qui disposent de surcroît, en leur nom propre, de portefeuilles d’actifs considérables.
Personne ou presque ne semble se soucier des possibles conflits d’intérêt qui fatalement travaillent ces milliardaires, à la fois « bienfaiteurs » de la planète ET investisseurs. Or, comme l’écrit Edouard Morena :
« Un certain nombre de philanthropes climatiques de premier plan ont adopté et promu cette approche et ce récit [ndlr : des solutions basées sur la nature et les technologies vertes], y compris certains dont les dotations et les conseils d'administration sont étroitement associés au secteur de la technologie et/ou au capital-risque. Ils ont soutenu (et continuent de soutenir) des organisations et des initiatives associées à des solutions basées sur le marché (marchés du carbone ou compensations carbone) et aux technologies dites à émissions négatives » [13].
Vaste question.
On peut s’interroger sur la manière dont les fonds de dotation des fondations sont placés, notamment s’ils sont susceptibles d’être investis dans des “actifs naturels” amenés à être marchandisés ou dans des technologies pouvant bénéficier des choix politiques et des financements publics découlant de cet agenda climatique. On peut aussi se demander si les philanthropes cherchent, à travers l’activisme des ONG, à établir un rapport de force avec d’acteurs économiques et financiers, comme par exemple le gestionnaire de fonds BlackRock. Ce ne sont que des hypothèses.
Ces grandes fortunes, qui ne représentent qu’elles mêmes, disposent d’une influence politique sans précédent mais ne rendent pas de compte sur les intérêts financiers de leurs fondations et ne donnent pas d’interview à ce sujet. De surcroît, au titre de l’ “utilité publique” de leurs véhicules d’activisme politique, elles se soustraient à la pression fiscale pour des montants prodigieux.
Faute d’information sur les actifs dans lesquels ces fortunes sont investies, les possibles biais de l’action des fondations ne peuvent être identifiés.
Laurence Tubiana, avec son salaire de grand patron et sa position de CEO, les connaît-elle? Ou bien est-elle payée pour les ignorer?
[1] https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/12/15/rechauffement-climatique-les-strategies-de-l-industrie-du-gaz-pour-sauver-cette-energie-fossile_6154475_3244.html
[2] https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/08/10/laurence-tubiana-sans-grande-loi-climat-on-voit-mal-comment-les-etats-unis-auraient-pu-conserver-de-la-credibilite-sur-le-sujet_6137646_3244.html
[3] https://public.euracoal.eu/download/Public-Archive/Library/Brochures/EURACOAL-NGOs-For-Sale.pdf
[4] https://beyond-coal.eu/about-us/who-we-are/
[5] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52018DC0773
[6] https://europeanclimate.org/resources/a-net-zero-emission-european-society-is-within-reach-but-getting-there-starts-today-2/
[7] https://www.politico.eu/article/the-climate-activists-stealing-big-oils-playbook/
[8] https://corporateeurope.org/en/2021/05/big-pharmas-lobbying-firepower-brussels-least-eu36-million-year-and-likely-far-more
[9] Voir notamment ce papier sur la présence des lobbyistes des entreprises pétrolières lors de la COP à Sharm-El-Sheik https://corporateeurope.org/en/2022/11/cop27-100-more-fossil-fuel-lobbyists-last-year
[10] https://www.bankofengland.co.uk/speech/2015/breaking-the-tragedy-of-the-horizon-climate-change-and-financial-stability
[11] https://carbon-pulse.com/183065/
[12] https://eeb.org/commission-bends-over-backwards-for-the-fertiliser-industry/
[13] Edouard Morena, inc. Research report “Beyond 2% - From climate philanthropy to climate justice philanthropy”, UNRISD, EDGE alliance, may 2022 https://www.edgefunders.org/beyond-2-climate-philanthropy-climate-justice-philanthropy/