Bon anniversaire, Frau Merkel
Avec l'autorisation de mon éditeur, Tallandier, que je remercie, je mets à disposition ma biographie de la chancelière allemande, qui fête aujourd'hui ses 70 ans.
L’ex-chancelière a 70 ans aujourd’hui. La Constitution allemande, 75, cette année.
Récemment, Angela Merkel est sortie de son silence pour dire : “nous devons la protéger”, afin que les “prochaines générations aient la chance de l’avoir” aussi.
Comme elle l’a eu, jadis, à partir de 35 ans.
Angela Merkel a publiquement invoqué la Constitution pour la première fois en 1991, à l’occasion du débat sur la légalisation de l’avortement au Bundestag. Entre la législation très libérale de l’ex-Allemagne de l’Est communiste et celle, ultra-conservatrice, de la République fédérale, où l’avortement était interdit, il fallait trouver un compromis.
“Das Mädchen” n’avait pas hésité (ou plutôt, si, avait-elle hésité) à s’affranchir des consignes de son propre parti, tout en s’opposant à la proposition de loi des sociaux-démocrates qu’elle jugeait contraire à la Constitution. Elle avait déposé la sienne, de proposition de loi, évidemment écartée, faute de majorité. Puis, finalement, après des mois, sa ligne s’était avérée proche de la solution présentée par le tribunal constitutionnel de Karlsruhe.
Dans la biographie que je lui ai consacrée, j’écris :
“Intellectuellement, Angela Merkel était arrivée à une solution assez proche du point d’équilibre entre l’état de la société, les positions des partis et la casuistique des juges. Elle analysera le paradoxe de l’échec [au Bundestag] de sa proposition de la façon suivante : C’est mon destin. Quand on tient une position médiane, on n’obtient pas forcément l’approbation générale.”
L’introduction de la biographie est à lire ci-dessous.
Vous pouvez télécharger à la fin de ce post l’intégralité des 320 pages (version TEXTO (poche) de 2017, sans, donc, son dernier mandat).
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INTRODUCTION
Athenes, 9 octobre 2012. Une marée de vingt-cinq mille manifestants a envahi la place Syntagma et les rues adjacentes. La voiture qui transporte la chanceliere allemande peine à se frayer un chemin vers le Parlement. Son image est partout : sur les affiches, taguée sur les murs, sur les banderoles, affublée de la petite moustache brune du Führer, en culotte de peau, sur fond de drapeau nazi, avec un brassard noir et rouge au bras. Ce jour-là, elle porte la même veste vert pâle que lors de la défaite de la Grèce 2-4 contre l’Allemagne en juin à l’Euro 2012. Aux députés grecs, elle s’apprête à dire sa compréhension pour les temps difficiles que traverse le pays… et à les inviter à la persévérance.
Bruxelles, 19 octobre 2012. Salle de presse du Conseil européen après un sommet dominé par la crise espagnole. Elle a opté pour l’autre côté du nuancier : un orange vif souligné d’un col en cuir. Elle vient de passer la nuit dans le mauvais rôle, posant ses conditions au renflouement des banques espagnoles. On lui demande ce qu’elle a pensé de l’accueil que lui ont réservé les Athéniens dix jours plus tôt. Elle répond : j’étais heureuse que ces gens manifestent parce qu’ils étaient libres de le faire, à condition que cela soit sans violence. Les Grecs traversent une période difficile. Ils méritent notre compassion. Angela Merkel ne dit pas un mot sur les odieuses caricatures.
Elle ne lâche rien sur les conditions éreintantes imposées à la Grece. Au risque de la provocation, elle détourne la question.
Elle vient de l’autre côté du Mur. Elle a grandi dans l’absence de liberté. Elle a résisté aux sirènes de la Stasi. Elle a persévéré des années dans des recherches vaines.
Les Grecs ont l’essentiel : la liberté.
Elle avait trente-cinq ans à la chute du Mur. Rien ne peut ébranler sa foi dans la liberté. La situation des Grecs est dure mais elle l’est en vertu d’une mécanique économique et monétaire dont elle, chanceliere allemande, refuse d’endosser la responsabilité. Il faut savoir se battre. C’est son message.
Il lui a fallu vingt ans pour arriver là ou elle est aujourd’hui, à la veille d’un troisieme mandat de chancelière. Quand la chape de plomb se lève sur la RDA en 1989, et qu’elle entreprend de gravir les échelons du monde politique allemand, elle a essentiellement des handicaps. Femme dans un monde d’hommes. Est-Allemande, là ou les « Wessies » (habitants d’Allemagne de l’Ouest) sont maîtres du jeu. Scientifique, là ou les juristes dominent.
Dans la course d’obstacles qu’a été sa carriere, elle a fait l’épreuve de la solitude du pouvoir. Elle a appris à garder son calme, à faire taire son orgueil. Rien ne trahit chez elle l’impatience. Rien n’exprime le regret ou ne justifie le ressentiment. Ni la RDA et sa duplicité. Ni ses concurrents écartés sans ménagement pendant sa fulgurante ascension du pouvoir. Pour la rage des Grecs et la ruine des Espagnols, elle n’a que de la compréhension, au mieux de la compassion.
Sur la façade jaune pâle d’une maison patricienne de Templin, où elle a grandi, dans la plaine monotone du Brandebourg, on peut lire cette maxime attribuée à Saint François d’Assise : « Commence par faire le nécessaire, puis fais ce qu’il est possible de faire et tu réaliseras l’impossible sans t’en apercevoir. »
Faire le nécessaire pour se rendre indispensable. Le nécessaire pour être repérée par Helmut Kohl et se retrouver au Bundestag dès décembre 1990. Pour mettre fin à la pénalisation de l’avortement. Pour obliger les exploitants de centrales nucléaires à prendre leurs responsabilités en matière de déchets. Le nécessaire pour faire tourner sa « grande coalition » quand elle devient chanceliere en 2005. Pour obtenir de son Parlement qu’il garantisse une partie des dettes de la zone euro. Juste le nécessaire pour s’apercevoir finalement qu’on a réalisé l’impossible.
Son ambition déroute, parce qu’elle n’est que l’accomplissement du devoir de perfectionnement tiré de son éducation protestante et d’un intime désir d’agir. Elle n’a pas de grand dessein. Elle travaille à la marge, résolvant les problèmes quand ils se présentent, ne se départant jamais d’une distance ironique avec les événements. Elle gouverne en se plaçant au centre, pas au-dessus.
Toute chanceliere qu’elle est, on la voit chuchotant à l’oreille d’un député allemand, au fond de l’hémicycle du Bundestag, avant un vote important. Circulant, un petit papier à la main, d’un chef d’État à l’autre, autour de la table du Conseil européen. Lisant un mathématicien franco-polonais pour comprendre comment est née la crise financière. Prenant place aux côtés de son époux, au dixieme rang d’une salle de concert à Berlin, juste après l’extinction des lumières. Assise devant une bière, tard dans la nuit bruxelloise, amusant ses collaborateurs avec les récits acérés d’une énieme réunion de crise. Faisant la queue le lendemain au buffet du petit déjeuner de l’hôtel Amigo pendant que François Hollande avale ses toasts et son café dans sa chambre gardée par deux agents de sécurité. Exultant devant un écran de télévision à la victoire de la Mannschaft, l’équipe nationale de football.
La simplicité de sa mise, de son expression, de sa vie confine à l’ennui. Mais en lui donnant l’image d’une Allemande comme les autres, elle lui assure un large soutien populaire. Sa seule vanité est de démentir en être dépourvue. Les vices habituellement attachés à l’exercice du pouvoir : le sexe et l’argent, n’ont pas prise sur elle. L’histoire de ses deux mariages a livré tous ses secrets, ou presque.
Entre la chancellerie, l’appartement berlinois au bord de la Spree et la modeste datcha du Brandebourg, il n’y a de place que pour le travail et une vie privée discrète et sobre, où la presse a cessé de vouloir démasquer la moindre fantaisie.
La force de la chanceliere est dans sa méthode. Depuis plus de deux décennies, elle applique à l’art de la politique la méthode scientifique perfectionnée à Adlershof, dans son laboratoire de l’Académie des sciences à Berlin-Est. Elle devait y appliquer au craquage du gaz naturel les enseignements de la physique quantique. Aujourd’hui encore, face à un probleme, elle pondère, combine, fait des essais, recule, tente autre chose et finalement pousse doucement le systeme complexe de l’équation du réel vers une solution. Pour sa plus grande joie. La variété des facteurs économiques et humains qui composent l’exercice politique rend celui-ci plus excitant que la plus pointue des expériences de laboratoire.
Pour opérer, elle descend dans l’arène et s’emploie à briser la cage de verre dans laquelle les courtisans et les conseillers enferment les puissants. A coups de SMS, elle va chercher l’information et les appuis au-delà du premier cercle, se défiant de ses propres alliés. A Berlin, le SMS a été rebaptisé « Short Merkel Service ». Elle recoupe. Elle observe. Elle analyse la position de ceux avec qui elle partage le pouvoir, ennemis comme amis. Elle explique, argumente, cherche à convaincre jusqu’a ce que se dessine un chemin, s’opère le mouvement de curseur qui va faire glisser le système sur la bonne pente.
Dans l’étincelle qui fuse alors du regard bleu acier constellé de rides se lit quelque chose d’insondable, de franc, de joyeux et d’inattendu. Satisfaction d’avoir surmonté un nouvel obstacle ? Ou plaisir procuré par l’exercice du pouvoir ? Les deux à la fois.
Si elle n’était qu’un joueur aimant déplacer les pièces sur l’échiquier politique, elle serait devenue impopulaire. Si elle n’était qu’une femme juste et appliquée, elle ne serait pas chancelière. Elle est l’un au risque de l’autre. Chez elle, la vocation de bien faire tempère l’instinct du pouvoir.
Téléchargez le PDF du livre. Bonne lecture!
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